La pandémie a freiné les rachats d’actions propres en Belgique

 

Article de l’Echo avec la contribution du Professeur Theo Vermaelen (INSEAD) co-gestionnaire du fonds DIM – PV Buyback USA

 

 

Alors que partout ailleurs les entreprises rachètent à nouveau en masse leurs propres actions, leurs consœurs cotées sur Euronext Bruxelles se montrent plus timorées. Les rachats d’actions propres sont inférieurs de plus de 50% à ce qu’ils étaient avant la pandémie.

Ces dernières semaines, les marchés étaient inondés de messages d’entreprises européennes annonçant le rachat d’actions propres, offrant ainsi un petit cadeau supplémentaire à leurs actionnaires. Sur la Bourse d’Amsterdam, ASML, ASMI, Philips, Arcelor Mittal et KPN, entre autres, ont annoncé des programmes de rachats d’actions propres de plusieurs milliards d’euros. Le groupe pétrolier britannique BP souhaite même, si possible, consacrer chaque trimestre 1 milliard de livres sterling au rachat de ses actions. «Pour faire redescendre les surplus de liquidités vers les actionnaires», a expliqué son CEO, Bernard Looney. Sur Wall Street également, les rachats vont bon train. Alors qu’en 2020, au moment de l’éclatement de la pandémie, les entreprises ont réduit par prudence leurs programmes de rachats d’actions propres, les membres du S&P500 ont dépensé 178 milliards de dollars en rachats d’actions au cours du premier trimestre de cette année, ce qui représente une hausse de 37% par rapport au premier trimestre de l’an dernier. Depuis le début de l’année, les entreprises cotées à Bruxelles ont dépensé 777 millions d’euros pour ces rachats. Si ce montant peut sembler élevé, il doit être comparé aux 3 milliards d’euros dépensés chaque année avant la crise sanitaire. Les plus grosses entreprises «acheteuses» de l’an dernier – Ageas, Euronav, D’Ieteren, EVS et Roularta, pour n’en citer que quelques-unes – n’ont encore rien déboursé cette année. Le chiffre ne comprend que les programmes de rachat dont l’objectif est d’annuler ensuite les actions, et non pas ceux qui servent à alimenter les plans d’options sur actions (stock-options) ou à promouvoir la négociabilité de l’action. Le rachat d’actions est un moyen de récompenser les actionnaires autrement qu’en distribuant un dividende. Lorsqu’une entreprise rachète ses propres actions et les détruit, les bénéfices sont ensuite répartis sur un nombre plus restreint d’actions. Les actionnaires voient ainsi leur part du gâteau automatiquement augmenter. En outre, le bénéfice par action augmente également, ce qui est positif pour le cours de l’action. Les entreprises qui rachètent en masse leurs propres actions permettent au cours de rester au-dessus d’un certain plancher. Enfin, le rachat d’actions est fiscalement plus avantageux qu’un dividende sur lequel les actionnaires doivent débourser un précompte mobilier de 30%.

777 millions d’euros. Depuis le début de l’année, les entreprises cotées à Bruxelles ont dépensé 777 millions d’euros pour des rachats d’actions propres. Si ce montant peut sembler élevé, il doit être comparé aux 3 milliards d’euros dépensés chaque année avant la crise sanitaire.

Warren Buffet

Même le super champion de l’investissement Warren Buffet qui fut pendant des années un détracteur du rachat d’actions a changé son fusil d’épaule. Dans son dernier rapport annuel, il vante même les mérites de cette technique. Son holding Berkshire Hathaway ne se prive pas de racheter ses propres actions. Selon Buffet, les avantages sont nettement supérieurs aux inconvénients. Car il y en a: l’entreprise se défait de ses liquidités, ce qui réduit d’autant les réserves permanant de faire face en cas de revers. «De nombreuses entreprises considèrent le rachat d’actions propres comme une meilleure façon de distribuer du cash aux actionnaires que l’augmentation du dividende», constate Theo Vermaelen, professeur à l’Insead et à l’Université de Chicago.

Vermaelen est également cogestionnaire d’un fonds de placement – PV Buyback USA (distribué en Belgique par Deminor Investment Management) qui investit dans des sociétés américaines ayant annoncé des programmes de rachats d’actions. «Pour les entreprises, toute augmentation du dividende représente une forme d’engagement pour l’avenir et doit être tenable à terme, contrairement au rachat d’actions propres. Une baisse du dividende est en effet très mal perçue par le marché, tandis que les rachats d’actions permettent d’adapter plus facilement la redistribution des bénéfices aux actionnaires en fonction des résultats.» «Les rachats importants indiquent que les entreprises sont très confiantes et produisent des résultats solides», poursuit Vermaelen. «De plus, en cette période de taux bas, les liquidités ne rapportent pas grand-chose. En Europe, les entreprises doivent même payer pour placer cet argent dans les banques. Je ne comprends pas pourquoi cette pratique est aussi peu populaire en Belgique. Même s’il existe de bonnes raisons de s’abstenir. Les entreprises fortement endettées ont intérêt à réduire leur dette, même si le taux d’endettement est généralement peu élevé. Et il va de soi que les entreprises ayant de grands projets d’investissement ont besoin de ces fonds. Par ailleurs, il est toujours possible que le management estime que les actions sont trop chères.» Vermaelen a constaté que les entreprises rachetant leurs propres actions affichaient un meilleur rendement à terme. L’étude américaine la plus complète indique un rendement supplémentaire moyen de 7 points de pourcentage la première année et de 24 points de pourcentage après quatre ans. «C’est notamment le cas lorsque le management fait explicitement référence à la sous-évaluation du cours. Notre fonds “Buyback” existe depuis dix ans et surperforme de 60% l’indice Russell 2000 – qui comprend des petites capitalisations.» Ahold Delhaize, champion des rachats d’actions Le champion des rachats d’actions propres à la Bourse de Bruxelles est d’ailleurs davantage néerlandais que belge. Au début de l’année, Ahold Delhaize a lancé un programme de rachat de 1 milliard d’euros. Le géant de la distribution poursuit ainsi une longue tradition. Plus de la moitié du programme – 520 millions d’euros a déjà été réalisée. La maison mère d’Albert Heijn, de Delhaize et du site de vente en ligne Bol.com est une véritable vache à lait. «Nous voulons reverser les capitaux excédentaires à nos actionnaires. Moins il y a d’actions, plus le bénéfice par action est important et plus le dividende peut être augmenté», a déclaré le CEO, Frans Muller. Cette année, Colruyt a déjà fait ses emplettes d’actions propres à hauteur de 100 millions d’euros. La chaîne de supermarchés n’a pas annoncé de montants précis, mais rachète ses propres actions de façon «opportuniste». Lorsque le cours recule comme après l’annonce de résultats décevants en juin, Colruyt met les gaz et rachète des actions à tour de bras. Sa politique de «prix rouges» s’applique donc à ses propres actions. Avec 250 millions d’euros de cash au bilan, les moyens ne manquent pas. Chez GBL, le CEO, Ian Gallienne, considère la décote du holding (de plus d’un tiers par rapport à la valeur intrinsèque) comme exagérée. Les autres holdings comme Sofina ou Brederode se négocient au-dessus de leur valeur intrinsèque. Le gendre de feu Albert Frère parle de «soldes» pour justifier ses rachats d’actions. En septembre 2020, GBL a lancé son troisième programme de rachat en trois ans, de 250 millions d’euros chacun. Cette semaine, l’action a pour la première fois dépassé le seuil de 100 euros. Sofina, qui rachète sporadiquement ses actions, a franchi la barre de 400 euros. Depuis des années, Econocom est également un de ses plus grands fans. Au cours du premier semestre, le groupe d’informatique a racheté pour 72 millions d’euros d’actions propres, ce qui porte sa participation à 8%. Même au cours de sa récente traversée du désert, l’entreprise a continué à distribuer un dividende et à racheter ses actions.

Suite à une restructuration en profondeur, l’entreprise a finalement retrouvé la santé et quasiment réduit sa dette à zéro. En février, Econocom a racheté un package de 6% d’actions de son actionnaire de référence Walter Butler, qui a démissionné de son poste d’administrateur, au prix de 2,285 euros par action. Un coup de maître. Depuis lors, le cours de l’action a bondi de 30%. Famille Mittal Aperam vient de lancer un programme de rachat de 100 millions d’euros. Même si ce plan présente une caractéristique remarquable: la famille Mittal, qui contrôle le groupe sidérurgique, vendra chaque jour un nombre d’actions identique à celui acheté par Aperam et ce, au même prix. Cela permettra à la famille de conserver le même niveau de participation tout en encaissant 100 millions d’euros. En mars 2020, suite à l’éclatement de la crise du Covid-19, Van de Velde a mis fin à son programme de rachat d’actions, mais pas pour longtemps. Malgré la pandémie et la forte baisse du bénéfice brut d’exploitation, la trésorerie du groupe a augmenté de 20% pour quasiment atteindre 50 millions d’euros. Une somme suffisante pour relancer le programme de rachat. Cette année, le groupe a déjà acquis 0,8% de son propre capital. Le programme de rachat se poursuivra jusqu’au 4 septembre. En l’absence de nouveau programme, le cours perdra bientôt son rempart.

Les investisseurs doivent tenir à l’œil la date d’échéance de ces programmes. Car et c’est surtout le cas pour les petites capitalisations – la fin de ces programmes est souvent synonyme de baisse du cours.

Smartphoto détient plus de 5% de son capital. L’an dernier, le groupe de cadeaux photo de Wetteren a prolongé jusqu’en mai 2023 son programme de rachat d’actions de 3 millions d’euros lancé l’an dernier. Une décision logique: la valeur boursière ne dépasse pas 130 millions d’euros. Tout achat important d’actions est donc susceptible d’influencer le cours de bourse. En dix mois à peine, Smartphoto a acquis 1,2% de son capital. L’entreprise peut facilement financer cette opération: l’an dernier, sa trésorerie est passée de 8,2 à 13,2 millions d’euros et ce, malgré les rachats, la hausse du dividende et la construction d’une nouvelle usine. Smartphoto peut encore consacrer plus de 2 millions d’euros au rachat d’actions dans le cadre du programme en cours. En novembre 2019, son voisin Resilux a lancé un programme de rachat d’actions propres de 2,5 millions d’euros, mais l’a à peine entamé. L’an dernier, le fabricant de bouteilles en PET n’a racheté que 1.757 actions, pour un investissement de 250.000 euros. Elles ont immédiatement été détruites. Les banques envisagent également de commencer à racheter leurs propres actions. Dès fin septembre, la Banque centrale européenne laissera à nouveau carte blanche aux institutions financières pour déterminer le montant de leurs dividendes ou acheter leurs propres actions. La BCE avait restreint la politique de distribution des banques au début de la pandémie, afin qu’elles puissent utiliser autant de capital que possible pour les prêts. KBC et ING ont annoncé cette semaine lors de la publication de chiffres trimestriels solides qu’ils augmentaient fortement leurs dividendes. ING achètera également des actions pour 1,7 milliard d’euros. Pour KBC, c’est encore un peu tôt. En revanche, l’assureur Ageas – un des champions du rachat d’actions propres de ces dernières années a réduit son programme. Le nouveau CEO, Hans De Cuyper, souhaite avant tout utiliser la montagne de cash de 1,2 milliard d’euros pour financer des acquisitions. Il a promis d’augmenter le dividende au cours des trois prochaines années, mais lors de la «journée des investisseurs» organisée le 1er juin, il n’a pas réitéré la promesse de racheter ses propres actions. Pour lui, ces rachats ne font pas partie des priorités. «Cela reste une possibilité, mais ce n’est pas garanti», a-t-il déclaré. Le marché a réagi négativement. Depuis cette déclaration, l’action a perdu 16%. Ce recul a commencé bien avant les inondations ayant fortement touché les assureurs. En mai, Ageas avait détruit 3,52 millions d’actions rachetées un an plus tôt, ce qui a réduit de 1,8% le nombre d’actions. L’assureur détient encore 2,13% de son capital. Le 9 novembre 2020, le spécialiste des serveurs d’images EVS a mis fin à son programme de rachat d’actions. Chez Euronav, les derniers rachats datent du mois de décembre. L’armateur spécialisé en tankers souligne explicitement que le cours de l’action est inférieur à la valeur des actifs. «Par conséquent, le rachat d’actions crée de la valeur à long terme pour toutes les parties prenantes», a indiqué le management du groupe. En juin, l’assemblée générale des actionnaires a approuvé le renouvellement du programme de rachat d’actions propres visant à acquérir jusqu’à 10% des actions. Fin 2020, Euronav détenait 8,3% de son propre capital. Plans d’options En marge des rachats d’actions destinées à être détruites, les entreprises rachètent leurs propres titres pour toutes sortes de motifs. Parfois, ces actions sont utilisées pour couvrir les plans d’options du management ou du personnel. Les entreprises évitent ainsi de devoir créer de nouvelles actions lors de l’attribution d’options. Vu que ces titres ne sont pas détruits, ces achats n’augmentent pas le rendement pour les actionnaires. IBA, Barco, Care Property et Gimv notamment achètent systématiquement des actions existantes. Telenet remporte la palme. L’an dernier, le groupe a dépensé 55 millions d’euros…

«De nombreuses entreprises considèrent le rachat d’actions propres comme une meilleure façon de distribuer du cash aux actionnaires que l’augmentation du dividende.» THEO VERMAELEN PROFESSEUR À L’INSEAD ET À L’UNIVERSITÉ DE CHICAGO

En rachat d’actions pour ses plans de stock-options. Par ailleurs, certaines entreprises achètent et vendent leurs propres actions pour améliorer la liquidité du titre en bourse. Elles concluent souvent un «contrat de liquidité» avec un courtier. Ackermans & van Haaren, UCB, Atenor et depuis ce mois-ci, Elia négocient leurs propres actions. Parfois, certaines entreprises vendent de gros paquets d’actions propres, par exemple pour financer leurs projets de développement ou réduire leur endettement. Ces 15 derniers mois, le promoteur immobilier Immobel a vendu plus de 1 million d’actions sur le marché, soit plus de 10% du total. Cette opération a pesé temporairement sur le cours de l’action. Avec cet argent, le CEO, Marnix Galle, souhaite passer à la vitesse supérieure. Marc Coucke et lui-même ont racheté ces actions. Vu que le nombre d’actions en circulation a augmenté d’un tiers pour atteindre 40% du capital, Immobel peut désormais attirer davantage d’investisseurs institutionnels. Avec 11,4% de son capital, le groupe de médias Roularta est son principal actionnaire, mais le CEO, Thierry Bouckaert, a déclaré que ces titres ne seraient pas détruits. Ils peuvent servir de monnaie d’échange en cas d’acquisitions. Les investisseurs ont donc intérêt à se renseigner sur les motivations des entreprises qui rachètent leurs propres actions. Ils doivent également tenir à l’œil la date d’échéance de ces programmes. Car et c’est surtout le cas pour les petites capitalisations – la fin de ces programmes est souvent synonyme de baisse du cours.

Theo Vermaelen, Professeur UBS de banque d’investissement, INSEAD.  Theo Vermaelen est également gestionnaire de portefeuille de PV Buyback USA, un fonds qui investit dans des entreprises qui annoncent des rachats parce qu’elles sont sous valorisées.

Article original:  https://journal.lecho.be/data/832/reader/reader.html?t=1629192597181#!preferred/0/package/832/pub/1054/page/20 

Theo Vermaelen

Theo Vermaelen

PV Buyback USA Fund Manager