Entretien de Theo Vermaelen à De Tidj

Theo Vermaelen, gestionnaire du fonds PV Buyback USA, s’exprime à propos des impacts de la crise du coronavirus et de l’élection présidentielle américaine sur les programmes de rachat d’actions menés par les entreprises aux Etat-Unis.  

27 Janvier 2021, De Tijd

Ces derniers mois, plusieurs politiciens démocrates ont critiqué le rachat des actions propres par des entreprises américaines. « Pourtant, je ne pense pas que le nouveau président Joe Biden restreindra les rachats », déclare le professeur Theo Vermaelen. « Ce serait une très mauvaise idée. »

Le professeur belge Theo Vermaelen est une sommité mondiale dans l’étude de rachats d’actions propres par les entreprises. Il est professeur de finance à l’Insead School of Management de Fontainebleau, en France, et donne également des conférences dans les universités de Chicago et de Singapour. Mr. Vermaelen a conclu, après avoir effectué des recherches sur des dizaines de milliers d’entreprises, que les entreprises qui rachètent des actions offrent des rendements supérieurs au fil du temps. Avec son collègue Urs Peyer, il conseille un fonds d’investissement qui investit dans des entreprises américaines qui rachètent leurs actions propres, PV Buyback USA. Ce fonds est distribué par DIM (Deminor Investment Management). Auparavant, il a géré un fonds de rachat d’actions propres de KBC pendant six ans.

La pandémie de coronavirus a entraîné les montagnes russes sur le marché boursier et a également eu pour effet un ralentissement des dépenses des grandes entreprises américaines du S&P500. Elles ont racheté 30 % de leurs actions propres en moins l’année dernière. Cela a-t-il eu un impact sur votre fonds ?

Theo Vermaelen : « Le déclenchement de la crise de Covid a tiré toutes les sonnettes d’alarmes. Pour de nombreux investisseurs, il était très difficile de contrôler ses émotions et de ne pas paniquer. Dans un moment comme celui-ci, le plus important est de rester calme. Plus de la moitié de la valeur d’une entreprise est déterminée par les flux de trésorerie attendus au cours des huit prochaines années. Même une très forte baisse de l’activité économique ne peut être responsable d’un krach boursier de 40%. Cette réaction excessive s’explique par le fait que les investisseurs utilisent des méthodes d’évaluation qui accordent un poids excessif aux bénéfices à court terme, comme le ratio cours/bénéfices. En tant qu’universitaires, nous regardons au-delà de cela. De plus, jamais la relance monétaire et financière n’a été aussi rapide et massive, ce qui ne pouvait que soutenir les marchés. »

« Nos positions ont également été mises à mal lorsque la pandémie a éclaté. Mais c’était aussi le moment idéal pour acheter. En mars, le nombre d’entreprises annonçant un nouveau programme de rachat est passé à 100, soit le double de la moyenne et le plus haut niveau en huit ans. De plus, les initiés ont commencé à acheter en masse. Les dirigeants et les membres des conseils d’administration savent mieux que quiconque quand leurs actions sont sous-évaluées. Leurs achats ont atteint en mars leur plus haut niveau depuis dix ans. Au cours des neuf derniers mois de 2020, ils ont augmenté de 160 %. Ces signes positifs m’ont fait réfléchir : Nous pouvons gagner de l’argent dans cette crise. »

« Soit dit en passant, notre territoire de chasse n’est pas le S&P500, mais l’indice Russell2000 composés de petites et moyennes entreprises. Ils ont racheté plus d’actions propres. »

En 2020, votre fonds a surperformé son indice de référence, le Russell 2000, de 4%, soit une hausse de 23 %. Cela est-il dû à une gestion très active ?

Vermaelen : « Nous gardons généralement nos positions pendant une période relativement longue. Mais la pandémie a créé bien d’autres opportunités que nous ne pouvions pas laisser passer. Nous avons vendu 20 positions, 7 entreprises de notre portefeuille ont été rachetées et nous en avons acheté 13 autres. Nous voulions notamment pouvoir racheter les entreprises qui ont réagi au crash de mars avec un programme de rachat. Actuellement, nous avons environ 70 actions dans notre portefeuille. »

Qu’est-ce qu’un signal d’achat pour vous ?

Vermaelen : « Si le début du rachat intervient après une chute du prix de l’action, et si la direction invoque la faible valorisation et la confiance dans l’avenir comme raisons. En Europe, les entreprises sont plus réservées dans leur communication, mais aux États-Unis, les entreprises font souvent explicitement référence à la faible valorisation comme raison d’achat. Sinon, nous appelons le PDG pour sonder ses motivations. Nous ne sommes pas intéressés par les entreprises qui achètent des actions pour d’autres raisons, telles que les plans d’options. »

L’annonce d’un programme de rachat et quelques paroles apaisantes de la direction suffisent-elles ?

Vermaelen : « Ce serait trop facile. Nous examinons également la valorisation, car la direction peut se tromper. Je pense que le ratio prix/valeur comptable est plus important que le ratio prix/bénéfices. Ce dernier fluctue énormément et est parfois même négatif. Je suis surtout intéressé par les actions qui ont enregistré des performances médiocres sans nouvelles négatives de la société. Ce sont des entreprises que le marché a ignorées. C’est pourquoi nous nous sommes spécialisés dans les petites capitalisations. Les grands noms du S&P500 sont suivis par des dizaines d’analystes, ce qui réduit considérablement les inefficiences de prix. »

« Il va sans dire que les entreprises doivent également disposer de ressources suffisantes pour justifier les achats. Une entreprise endettée, sans flux de trésorerie stable, qui achète ses propres actions, est mieux si elle est ignorée. »

Dans quels secteurs le fonds est-il principalement actif ?

Vermaelen : « Cette année, nous avons donné plus de poids aux entreprises qui profitent de la crise. C’est là que nous avons entendu les commentaires les plus optimistes de la direction après le pic de la pandémie. Par exemple, le PDG de LivePerson, une société spécialisée dans l’intelligence artificielle pour les messages d’entreprise aux consommateurs, a déclaré qu’il n’avait jamais été confronté à une demande aussi forte pour les produits de sa société. Fin mars, le cours avait augmenté de 171 %. Vous avez également beaucoup de gagnants du Coronavirus en dehors de la technologie. Un exemple est celui de Patrick Industries, un fournisseur de véhicules de loisirs tels que les caravanes. Ce marché est en plein essor à cause de la pandémie, car il est devenu beaucoup plus difficile de voyager en avion et à l’hôtel. Le prix de l’action a plus que triplé. »

« L’industrie est le secteur principal du fonds avec 18%, suivi par la Santé (17%), les semi-conducteurs (14%), le matériel informatique (12%) et les logiciels (8%). »

Joe Biden est le nouveau président des Etats-Unis depuis la semaine dernière. Plusieurs politiciens démocrates ont déjà indiqué qu’ils voulaient restreindre les programmes de rachats d’actions propres. Ils estiment que les entreprises devraient investir plutôt que de récompenser les actionnaires. Est-ce un danger ?

Vermaelen : « C’est surtout la partie d’extrême gauche des démocrates, tel que Bernie Sanders et Élisabeth Warren, qui est contre les rachats d’actions propres. Biden n’appartient pas à ce camp. Jusqu’à présent il n’a fait aucune déclaration à ce sujet. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il limitera les rachats d’actions propres. Ce serait une très mauvaise idée. En tant que gouvernement, vous ne pouvez pas forcer les entreprises à investir, car tous les investissements ne sont pas bons. Regardez le secteur pétrolier. Le plus gros acheteur d’actions propres au cours des dix dernières années était le géant pétrolier ExxonMobil. S’il avait investi tout cet argent dans de nouveaux projets pétroliers, l’offre aurait été largement excédentaire, compte tenu de la faiblesse du prix du pétrole. »

« L’achat d’actions propres restent un excellent moyen de faire fructifier les liquidités excédentaires. Cela permet d’optimiser le bilan. C’est aux entreprises d’en juger et non aux politiciens. Les politiciens ne sont pas formés pour juger si un rachat d’actions propres donnera un meilleur rendement qu’un autre investissement. »

Theo Vermaelen

Theo Vermaelen

PV Buyback USA Fund Manager